Le chant
« Damien, c’est ce chant qu’il nous faut à La Bénisson-Dieu ».
De quel chant s’agissait-il ? Du chant grégorien.
Pourtant, rien ne disposait François à formuler cette demande à la fin de ce stage d’initiation en 2017, lui qui avait été bercé durant toute sa jeunesse par les chants que l’on trouve dans les églises de l’Occident latin depuis quelques décennies.
Ce chant inconnu lui apparaissait soudain « naturel », dans le droit fil de ce qu’il cherchait par ailleurs dans l’éco-hameau.
Mais parler de nature en musique est tout sauf simple, car la musique, si elle repose sur des lois naturelles, est un élément on ne peut plus culturel. Elle est le fait de l’homme.
C’est justement à la recherche de ce chant « culturellement naturel » que Damien Poisblaud se consacre depuis quarante ans. Au début, il cherchait un chant pur, authentique ; peu à peu, à force de côtoyer les manuscrits du Xe siècle, et à force d’écouter les chants traditionnels de l’Orient chrétien, se profila au travers de ces notes, une figure qui se tenait debout et chantait la liturgie : le chantre. Mais à quoi pensait ce chantre du Xe siècle ? Comment voyait-il le monde ? Cela demeurait une énigme. Pour redonner vie et chair à ce chantre, il fallait se mettre à l’épreuve des mêmes gestes, retrouver son regard. Autour du chantre, c’était donc tout un monde qu’il fallait conquérir, à la fois merveilleusement naturel et miraculeusement humain, amoureusement tourné vers son Créateur.
Ce pressentiment d’une terre inconnue était de nature à créer en notre chercheur un formidable appel d’air. Et c’est ce même appel d’air qui emporta littéralement François.
Cette reconstitution l’avait touché par son côté net et franc, par cette évidence dont les chants traditionnels ont le secret. Ce chant semblait soudain si naturel et si proche des hommes. Et puis réapparaissaient tous ces présupposés, tous ces liens multiples tissés avec une culture tellement plus proche de la terre et du ciel. Il faudrait sans doute réapprendre beaucoup de choses, remettre des habitudes musicales en question. Mais qu’à cela ne tienne : ce grégorien là était une trop belle façon d’approfondir les choses pour le laisser passer. Et c’est ainsi que l’éco-hameau accueille aujourd’hui des stages de découverte du chant grégorien, des sessions avec les Chantres du Thoronet, des concerts ; on chante à l’abbaye des vêpres grégoriennes tous les dimanches et la messe quand elle est célébrée à La Bénisson-Dieu. Sans doute, pour réapprendre ce grand et beau chant des premiers siècles, avec ses intervalles justes et naturels, ses ornementations de la voix, fallait-il de la patience et de la persévérance. Mais n’est-ce pas là précisément un enjeu de l’éco-hameau que de prendre du temps pour aller au fond des choses ?