Objections et réponses
L’éco-hameau ne risque-t-il pas de devenir une secte ou un ghetto où vous ne vivez qu’entre vous ?
Il existe déjà beaucoup d’éco-villages, d’éco-hameaux et d’éco-quartiers, qui sont loin d’être devenus des sectes ou des ghettos.
Nous ne voulons pas nous couper du monde, mais simplement créer un foyer auprès duquel nous-mêmes ou d’autres puissent se ressourcer. Nous n’avons pas l’impression que le monde actuel favorise beaucoup l’ouverture aux autres ; nous avons plutôt l’impression inverse que les relations entre les hommes de notre temps ne sont pas des relations communautaires : on prétend être ouvert aux autres, mais on ne fait que les côtoyer, et l’on reste enfermé dans son petit cercle d’amis et son petit milieu. Si l’on creuse un peu, la fermeture semble donc plutôt se situer du côté de la société individualiste.
Vivre de façon plus conviviale et communautaire est un besoin humain. Ce besoin est largement nié dans la société actuelle, qui encourage chacun à être le plus possible autonome et indépendant des autres ; en ce sens, l’on peut dire que dans notre société, chacun est à soi-même sa propre secte et son propre ghetto ; mais cela ne comble pas le cœur de l’homme, et nous voyons pléthore d’associations fleurir, qui cherchent à pallier cet individualisme ambiant. En ce qui concerne la vie ecclésiale, c’est la même chose : les paroisses, surtout les paroisses rurales qui sont de plus en plus éclatées, ne jouent plus vraiment leur rôle de communauté vivante de laïcs ; des groupes de prière ou de rassemblement entre hommes ou entre femmes naissent ici ou là, manifestant que ce besoin humain est trop fort pour être ainsi négligé.
Il faut aussi distinguer entre ouverture et rencontre superficielles, et ouverte et rencontre profondes : zapper d’amis quand ils ne nous conviennent plus, croiser des gens à des dîners, côtoyer des inconnus au spectacle, passer son temps sur son smartphone ou sa tablette sur des réseaux soi-disant « sociaux », peut donner l’apparence d’être ouvert et de rencontrer beaucoup de monde. Ce qui est grisant dans cette apparente ouverture totale, c’est que tout semble possible ; mais en fin de compte, aucun possible n’est réalisé, ou seulement superficiellement. La superficialité de cette ouverture apparaît d’autant plus, par contraste, lorsque l’on essaie de vivre au quotidien avec des personnes que l’on n’a jamais totalement choisies. Le contraste est saisissant, entre une gare citadine où l’on croise des centaines de personnes mais où l’on n’en rencontre aucune, puisque l’on reste dans sa bulle confortable, donnant l’illusion d’être ouvert au monde, et un foyer, où le champ des possibles est réduit au strict minimum, mais où la rencontre est véritablement profonde, quoiqu’inconfortable.
En outre, ce n’est pas parce qu’il y a une communauté qui se crée autour de valeurs communes qu’il y a nécessairement création d’un ghetto. Créer une famille implique un risque de ghettoïsation, mais personne ne refuserait de créer une famille sous prétexte que ce risque existe. C’est précisément en étant véritablement uni qu’un couple peut s’ouvrir à la vie de l’enfant ; si le couple prétendait devoir relâcher ses liens pour soi-disant rester ouvert, il ne pourrait pas accueillir l’enfant dignement ; il en va de même, par analogie, pour toute communauté humaine plus large que la famille. De plus, les nombreux monastères de cloîtrés ne sont pas pour autant des ghettos auto-centrés, et n’abritent pas que des fous ou des sectaires.
Le risque de ghetto est largement diminué à partir du moment où l’on en a conscience. Nous n’avons pas peur du monde, mais constatons simplement qu’il ne répond plus à une grande partie des aspirations du cœur humain. Et nous avons rencontré, au sens profond du terme, plus de personnes en quelques mois à La Bénisson-Dieu qu’en de nombreuses années en ville. D’abord entre nous : la vie communautaire manifeste la difficulté de vivre ensemble, alors même que l’on pense avoir beaucoup de choses en commun. Et ensuite avec l’extérieur : beaucoup de personnes viennent nous rendre visite pour s’inspirer du projet ou tout simplement se ressourcer.
Nous avons aussi fait le choix de nous installer dans un village déjà existant : nous souhaitons vivre une concorde avec les villageois, que nous n’avons pas du tout choisis.
Pour terminer, il faut dire que la peur du ghetto ou du communautarisme est typiquement française, et relève d’un complexe qu’il faut déconstruire et analyser, et qui cache une peur réelle : celle d’être vraiment ouvert à la personne qui me fait face, et dont la radicale altérité, à accueillir quotidiennement, m’effraie. Sous prétexte qu’il y aurait un risque de sectarisme, on tombe dans l’excès inverse, qui est tout aussi risqué : l’atomisation de la société.
Est-ce que cela ne va pas favoriser un communautarisme chrétien ?
La réunion des moines dans un monastère favoriserait dans ce cas aussi le communautarisme.
Par ailleurs, une certaine dose de communautarisme est nécessaire, sous peine de mourir, surtout en terre déchristianisée ; un chrétien isolé est un chrétien en danger ; c’est particulièrement vrai à la campagne.
Est-ce que cela ne va pas empêcher l’accueil de la diversité?
Nous pensons que la diversité n’est pas à rechercher comme une fin en soi. L’accueil du pauvre, du malheureux, en revanche, est quelque chose de fondamental ; or c’est présent dans le projet.
Par ailleurs, au sein même de cette communauté, il y a suffisamment de diversités de caractères.
Enfin il y a toujours de la diversité présente dans les lieux extérieurs (travail, activités, etc…).
Votre projet ne consiste-t-il pas à revenir en arrière, à un passé fantasmé et idéalisé ?
Nous renvoyons dos-à-dos les deux positions contraires selon lesquelles tout était mieux avant et tout est mieux maintenant. Il faut bien évidemment voir les défauts des époques antérieures, mais aussi celles de la nôtre. Nous essayons de retrouver ce qu’il y avait de bon dans les sociétés antérieures et que nous avons perdu, et de prendre ce qu’il y a de bon dans notre temps, et certains savoirs et savoir-faires constituent de réels progrès : la permaculture, l’éducation bienveillante, les pédagogies alternatives, la rénovation écologique de bâtiments, etc.
Toutefois, nous avons l’intime conviction que le mode de vie occidental n’est pas généralisable à l’ensemble du genre humain, et qu’il faut donc accepter de « décroître » dans plusieurs aspects de notre mode de vie, en mettant en pratique une forme de sobriété heureuse.