Pourquoi y-a-t-il à nos maisons, des fenêtres ? C’est un luxe auquel on ne prête plus guère attention. Une porte est nécessaire, sans quoi il n’y a plus ni intérieur, ni extérieur. Mais une fenêtre ? Il existe, dans d’autres pays, des maisons sans fenêtres, et chez nous, on l’a faite d’abord toute petite, étroite, une incision, comme une plaie dans la muraille forte, une anfractuosité concédée à la lumière, parce qu’à travers elle pénètrent aussi le vent, la froidure ou la chaleur, et parfois, l’ennemi. Et l’on a déjà tant de mal à garder la porte. On ne fait pas de fenêtre à une maison dont l’entour est incertain. Mais voilà, parfois, c’est un ami qui se présente, et l’on a eu envie de le voir arriver de loin, afin qu’il trouve la maison prête. On ne peut se tenir toujours sur le seuil, des tâches à l’intérieur nous requièrent, aussi a-t-on ouvert dans le mur une fenêtre. Avoir une fenêtre signifie que l’on est en bonne entente avec le monde, et son voisin. Désormais, il frappe au carreau avant de s’annoncer à la porte, parfois il y écrase son nez. La croisée grande ouverte se prête au risque du surgissement d’un visage, d’un rameau facétieux de glycine ou de vigne vierge, de quelque mouche en goguette, d’un oiseau affolé, que l’on rend au ciel en le guidant vers l’entre-ouvert.
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C’était un jour de juin, un peu après midi. Il faisait si beau et si doux que c’était à n’y plus comprendre pourquoi posséder une maison ou quoi que ce soit qui se mettrait entre nous et la lumière. Tout notre intérieur se déversait au-dehors, où j’avais allégrement déménagé ma cuisine et les enfants, leurs jeux. Nous avions entrepris quelques jours auparavant la lecture de Sans famille, et les deux grands me suppliaient de poursuivre, à la faveur de la sieste des petites, les aventures de Rémi et de Vitalis. Et c’est ainsi que nous déménageâmes devant la maison notre salon de lecture, nous enfonçant dans le soleil comme dans un bon pain chaud qui aurait cuit là, sur le seuil. La pierre nous chauffait le derrière. Je lisais, le livre entre mes mains, M… avait posé sa tête sur mon épaule, E… sur ses deux genoux repliés : tous deux avaient les yeux plissés, à cause de la lumière, et l’effort de concentration demandé par la lecture (elle était difficile à imaginer, la peine du pauvre Rémi transi de froid sur les routes alors que nous, nous avions un si bon soleil). Un homme âgé passa sur le parvis, appuyé sur sa canne.
A la manière dont il nous salua, je sus que j’accomplissais là un rituel sacré. Qu’il était aise de savoir qu’il existât encore une mère, et des enfants, pour le perpétuer.
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